J'avais cette idée en tête depuis quelques années déjà : aller visiter la zone interdite de Tchernobyl. Pourquoi ? J’en sais trop rien ; l'alibi sera d'y faire ce reportage. Je me suis donc inscrit à un « Tchernobyl tour » dans une agence de Kiev. Impressions :
L'attraction
Avril 2011, Kiev. A l'heure dite, j'arrive au lieu de rendez-vous sur la Place de l'indépendance, pensant y retrouver une dizaine de personnes. Là, je tombe sur un groupe d'environ 70 personnes. Je m'approche pour me signaler au guide ; tout autour de moi, les dollars, euros, hryvnias... changent de mains. On parle Russe, Allemand, Anglais... "You can pay by Credit cards" : voila Igor, le guide qui pointe les présents et encaisse les retardataires. Très rapidement, nous rejoignons les bus : en route !
Après une heure et demie de trajet, nous franchissons plusieurs check points. Des policiers armés contrôlent nos passeports. Autour de nous, des techniciens passent en revue les véhicules quittant la zone, avec des compteurs Geiger. Un petit signe du technicien et le camion démarre. Ca ira pour cette fois...
Arrêt suivant. On est au pied du monument aux victimes de Tchernobyl, à une centaine de mètres de la sinistre silhouette que l'on connait tous. Tout le monde observe, pas un mot. Juste quelques chants d'oiseaux et le bruit d'un chantier au loin. Mais très vite, le militaire qui nous accompagne pose fièrement avec son compteur Geiger, Un couple se prend en photo en tenant l'appareil à bout de bras. Deux minets asiatiques, sapés comme pour aller en boite, se photographient à tour de rôle avec leur iPhone et clic - « share on facebook ». Un petit vieux dort toujours dans le bus... Cette ambiance Club Med parait étrange à cet endroit : je me demande ce que je fais là. Je ressens un peu la même chose que lorsque j'avais visité le camp d'Auschwitz. Je ne peux m'empêcher de penser à tous ceux qui sont morts en ce lieu, ce qui renforce cette désagréable impression de curiosité malsaine.
"It’s time to go !" : le ton du garde est sans appel. On regagne le bus, direction la cantine de la centrale et ensuite Prypiat.
L'émotion
Prypiat, ville de 45000 habitants. Tous ont été évacués le lendemain de l'accident. C'est aujourd’hui une ville fantôme.
Arrêt à l'école maternelle, où la vie s'est figée ce 27 avril 1986, jour de l'évacuation. Dans la cour, au pied d'un panneau rouge et jaune "radioactif", une poupée en partie couverte de feuilles, tend la main à une petite fille qui ne viendra jamais. Aucun enfant ne jouera plus avec les deux camions de pompiers. Ces jouets paraissent inoffensifs mais, à leur proximité, le compteur Geiger s'affole. En centre-ville, la fête foraine venait de s'installer. Les manèges sont figés, les autos tamponneuses sont en partie éventrées. Des pillards ont démonté les moteurs pour en récupérer le cuivre et le revendre. Au restaurant, la caisse affiche le prix dû par le dernier client. Même chaos à la piscine ou au théâtre, où un étui d'instrument vide traîne en travers d'un couloir... Les nombreux chants d'oiseaux rendent l'endroit moins sinistre : malgré la contamination, la vie reprend le dessus. Dans quelques jours, ce sera le printemps et l'endroit grouillera de vie. Seuls les bips du compteur du garde viennent rappeler que l'endroit est malsain. Pas le temps de s'attarder : il faut trouver les sujets, faire les cadrages, et déjà le garde bat le rappel.
Dernier check point et passage obligatoire sous les portiques de détection de radioactivité. Après quelques secondes d'hésitation, un voyant vert s'allume et l'appareil me laisse sortir. C'est bon ! Retour à Kiev.
La réflexion
Ce n’est qu'une fois rentré à Kiev que j'ai pris le temps de revenir sur cette journée. Le malaise ressenti devant le monument aux victimes a disparu. Cette journée m'a montré ce que signifient les mots "accident nucléaire". Il y a 25 ans de cela, la centrale de Tchernobyl a explosé à cause de défauts de conception et du non-respect des procédures de sûreté. Cet accident du tristement célèbre « réacteur n°4 » a entraîné l'évacuation d'une zone de 30 km autour de la centrale.
On nous a alors garanti qu'un accident similaire ne pouvait pas se produire sur les réacteurs de constructions occidentales. C’est vrai, leur conception est radicalement différente. Mais l'actualité nous a montré que ces réacteurs pouvaient être à l'origine d'accidents aux conséquences similaires. Une « Zone d'évacuation temporaire » de 20 km vient d'ailleurs d'être créée autour de la centrale de Fukushima au Japon. Dans 25 ans, ces lieux ne se visiteront probablement qu'en autocars climatisés lors de « Fukushima tours »...
La France exploite aujourd'hui un parc de 58 réacteurs : on est en droit de se demander si les leçons de ces accidents, et les nombreux audits et études de sécurité, ont bien été pris en compte.
A Fukushima, c'est le raz-de-marée qui, en détruisant un simple groupe électrogène diesel et les alimentations électriques de la centrale, a provoqué la catastrophe. Sans alimentation électrique, les pompes de refroidissement se sont arrêtées et les cœurs des réacteurs, non refroidis, sont entrés en fusion.
Pourquoi ces réacteurs se sont-ils retrouvés dans cette situation ? Si la réponse est « on n’y avait pas pensé » ou « on n'avait pas envisagé ce scénario », quoi d'autre a été oublié ou, pire, non envisagé ?
Est-ce que, sur les réacteurs en fonction, le refroidissement peut être assuré dans toutes les conditions, même par un système dégradé ? Est-ce que l'EPR pourra assurer son refroidissement en toutes circonstances ? Et au-delà, peut-on accélérer artificiellement la désintégration des particules radioactives, afin de pouvoir neutraliser les déchets ou la contamination de l'environnement après un accident ?
Malgré tout, l'atome reste une source d'énergie d'un grand intérêt mais qui, comme nous le montrent ces catastrophes, a été exploitée bien trop vite de manière industrielle. Les atomistes ont encore beaucoup de travail pour que l'on puisse exploiter cette source d'énergie de manière propre à long terme. Et pour que l'adage « jamais deux sans trois » ne se vérifie pas...
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La fête foraine de Pripiat, a l'abandon depuis 25 ans
Au restaurant...
Masques a gaz, protection derisoire des liquidateurs de Tchernobyl.
La piscine de Pripiat.
Jouets abandonnées dans la cour d'une école primaire, près de Tchernobyl
Au hasard des ruines...