Au cœur des paysages magnifiques de la Haute-Auvergne et des Causses, serpente une des lignes de chemin de fer des plus originales de France. Construite entre 1858 et 1888 par la Compagnie des chemins de fer du Midi, la « Ligne des Causses », comme elle est souvent appelée, relie Béziers à Neussargues. Cette ligne au profil difficile, qui fut l'une des premières à être électrifiée en France, est aujourd'hui un patrimoine historique, technique, et économique exceptionnel.
Le temps d'un trajet à bord du train l'Aubrac, je vous invite à un voyage en images au travers du Massif Central, à la rencontre des usagers et des cheminots de la « Ligne des Causses ».
Attention au départ et bon voyage !
Le train, formé d'un unique autorail X73500, s'élance vers le Sud en escaladant les reliefs cantaliens. La vitesse n'excède pas 90 km/h, ce qui laisse le temps de profiter de la vue très étendue sur ces paysages de montagne splendide. Cette seule vue peut être une motivation à part entière pour parcourir tout ou partie de la ligne, mais pour la plupart des usagers, c'est tout d'abord le service de transport qui est recherché.
Premier arrêt : Saint-Flour, siège de l'évêché du Cantal. Du haut de son promontoire, la Ville-Haute, cœur historique de la ville bâtie autour de la cathédrale, domine la Ville-Basse qui s'est développée autour de la gare après l'arrivée du chemin de fer.
Réduite à sa plus simple expression, un quai, deux voies et quelques voies de services en grande partie neutralisées, la gare somnole. Elle ne sort de sa torpeur qu'à l'occasion du passage des rares trains qui la desservent et pour le passage de l'unique train de marchandises circulant sur la ligne, pour desservir l'usine Arcelor-Mittal de Saint-Chély d'Apcher.
On retrouve tout autour de la gare les vestiges du temps de sa grandeur : les restes d'un dépôt, l'amorce de la bifurcation vers Brioude désaffectée et déposée depuis de nombreuses années, des amoncellements de rails provenant des voies supprimées traînent entre deux voies enherbées... Et comme m'a dit un cheminot "Quand l'herbe vient, les trains s'en vont"...
Fabien: "Je prend plutôt le train du soir en général, et pour aller dans ma famille ou rejoindre des amis"
Et le petit train s'en va dans la campagne, tel un serpent gris et bleu. Il se hâte lentement, se faufilant dans les vallées, sifflant dans les courbes et peinant dans les fortes rampes, et même ralentissant parfois avant de traverser un village et sa gare oubliée ou alors avant de franchir un viaduc et offrir une vue magnifique à ses passagers...
Oeuvre de Léon Boyer et de Gustave Eiffel, le Viaduc de Garabit est l'un des nombreux ouvrages d'art qui jalonnent la ligne. C'est de loin le plus imposant, il enjambe la Truyère sur une longueur de 564 mètres et à 122 mètres au dessus du lit de la rivière. Le tablier repose sur cinq piles métalliques et une arche de 120 mètres de portée; sa construction a duré de 1880 à 1884. C'est un ouvrage métallique en fer puddlé, le même matériau que l'ingénieur utilisera quelques années plus tard pour construire sa célèbre tour.
Le viaduc de Garabit est classé Monument Historique depuis 1965.
Rocco et Brenda: "C'est la première fois qu'on prend ce train, on va dans sa famille"
Nous desservons ensuite Saint Chély d'Apcher, seule gare de la ligne à accueillir encore du trafic de fret. Chaque jour, deux trains apportent à l'usine métallurgique d'Arcelor-Mittal, le principal employeur de la ville et unique entreprise n'ayant pas cédé aux sirènes du tout-camion, sa matière première sous forme de grosses bobines de tôle d'acier appelées "coils". Ces tôles seront transformés en divers produits semi-finis qui serviront à leur tour de matière première à de nombreuses usines. Ici l'activité est encore importante. Il faut livrer les wagons à l'heure à l'Usine dont l'appétit d'acier est insatiable.
Stéphanie:
"Je prends ce train occasionnellement; aujourd'hui pour aller rejoindre mon homme"
Sans arrêt, nous traversons la gare fantôme de Saint Sauveur de Peyre. Elle aussi a connu jadis une importante activité comme en témoigne les ruines des bâtiments et la taille des emprises, aujourd'hui traversées par une unique voie doublée d'une voie de garage aux rails rouillés. On y trouve également une "sous-station électrique", un poste de transformation qui permet d'alimenter la caténaire depuis le réseau EDF. En effet, bien que cette ligne soit à faible trafic, la compagnie du Midi, pionnière dans ce domaine, avait fait le choix d'exploiter très tôt la majorité de ses lignes en traction électrique. C'est ainsi que la ligne des Causses, équipée en 1931, est en quelque sorte le laboratoire qui a permis le développement des technologies qui seront reprises plus tard par la SNCF pour le développement du TGV. L'énergie électrique, verte et renouvelable, est produite localement par des usines hydroélectriques installées sur les cours d'eau environnants.
Enclenchements. Véritable ordinateur mécanique qui, par un ingénieux système de tringles et de leviers, assure la sécurité sur la ligne depuis plus de 50 ans.
Ensuite, nous desservons Marvejols, parfois appelée "Ville Royale", nichée au coeur du Gévaudan, territoire de la Bête qui terrorisa autrefois la population. Commence ensuite la longue descente des Causses vers la Méditerranée. On entendra alors Simone nous annoncer Sévérac-le-château, Millau, Tournemire et enfin Bédarieux qui sera notre dernier arrêt avant le terminus. Tout comme à Saint-Flour, le calme revient très vite dans ces gares après le passage du train, et comme à Saint-Sauveur, les vestiges de bâtiments permettent de se faire une idée de l'animation qui régnait ici et là quand les marchandises n'arrivaient pas encore par camion, quand on savait encore prendre le temps de voyager sans être esclave du stress et de la vitesse, quand les éleveurs des environs faisaient prendre le train à leurs troupeaux pour la transhumance ou que l'on pouvait voir passer les "pinardiers", ces trains qui transportaient le vin du Languedoc vers Paris, où il était vendu au marché aux vins de Bercy.
Soeur Anne-Elisabeth: "Je prends rarement le train, on sort peu de la communauté"
Après 5 heures de trajet et 277 kilomètres parcourus, notre train arrive en gare de Béziers. Terminus. Ce voyage laisse une impression étrange : celle d'un axe de communication et d'un patrimoine laissés à l'abandon et dont le potentiel aussi bien en termes de transports de voyageurs, de fret que de tourisme est largement sous-exploité et qui n'est plus parcouru que par des trains pudiquement appelés "trains d'équilibre du territoire".
Malgré quelques travaux de renouvellement de voie menés depuis les années 2000 sous l'impulsion de Jean-Claude Gayssot, Ministre des Transports du Gouvernement Jospin, cet axe qui pourrait devenir à peu de frais un axe de transport de fret trans-européen continue de mourir à petit feu car nous nous entêtons à vouloir développer à tout prix le transport routier qui est otage des énergies fossiles, malgré la pollution générée et malgré la hausse inexorable du baril de pétrole que l'on doit importer à grands frais...
Je tiens à remercier toutes les personnes qui m'ont aidé ou ont participé à la réalisation de ce reportage, et en particulier les voyageurs de l'Aubrac.
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Saint Flour
Saint Chély et les rouleaux d'acier pour l'Usine
Neussargues
Le train dans la ville - Saint Rome de Cernon
Près de Ruyne en Margeride
L'Aubrac à Arcomie
Inspection d'aiguilles - Saint Flour
Pour aller plus loin :
- La Compagnie du Midi et l'essor de la traction électrique
- Le reportage de France 5 "Une erreur d'aiguillage" sur la ligne des causses.